Les Cours criminelles départementales : "une chimère coûteuse et décevante, un déni de démocratie"*
On se souvient que la loi du 23 mars 2019 dite de « programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice » avait prévu, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, le jugement en premier ressort des personnes majeures accusées d’un crime puni de quinze ou de vingt ans de réclusion, hors récidive, par une cour criminelle départementale composée de cinq magistrats. Exit donc les jurés citoyens.
L’objectif : juger plus vite les crimes (notamment les viols), réduire les coûts et, ne nous le cachons pas, faire baisser les stocks.
L’expérimentation s’est déroulée sans grand bruit et la loi du 22 décembre 2021 « pour la confiance dans l’institution judiciaire » a généralisé à l’ensemble du territoire (hormis MAYOTTE) les cours criminelles départementales à compter du 1er janvier 2023, l’expérimentation se poursuivant durant toute l’année 2022, un comité d’évaluation et de suivi étant toutefois mis en place à l’effet d’établir un rapport et de formuler toute proposition utile.
Notre Garde des Sceaux ne s’est guère embarrassé de ce rapport, peu renseigné il est vrai mais révélateur de la vanité de cette réforme, publié en novembre dernier et voilà donc les CCD en ordre marche ou prétendues ainsi.
L’heure n’est plus au silence et la fronde que mène Benjamin FIORINI, maître de conférence en droit pénal et sciences criminelles à PARIS VIII et juge assesseur à la Cour Nationale du Droit d’Asile et qu’a déjà rejoint une partie du monde judiciaire doit être entendue. Notre conseil de l’Ordre se devait de l’accueillir et c’est ce qu’il a fait le 16 février dernier pour que nous questionnions ensemble l’utilité des CCD telle que résultant de ce rapport.
Que nous révèle-t-il ? Que l’impact sur la correctionnalisation massive que les CCD devaient permettre d’éviter est nul ou presque, que l’objectif de réduire le délai entre la mise en accusation et l’arrêt n’est atteint qu’en apparence puisqu’on dénombre d’avantage d’appels à l’endroit des décisions de la CCD qu’à celui des arrêts d’assises, que la réduction annoncée des coûts est un leurre (mobilisation de magistrats assesseurs habituellement destinés à d’autres fonctions, renforcements des effectifs de magistrats et de greffiers, investissements immobiliers…), tout cela ne pouvant évidemment que faire obstacle à la diminution des stocks tant souhaitée par la Chancellerie… Pour Benjamin FIORINI, les CCD ne sont qu’une « chimère coûteuse et décevante » et l’on ne saurait lui donner tort.
Mais plus grave : l’instauration des CCD, c’est la mort annoncée du jury populaire, instrument au service de la citoyenneté, et avec elle « la disparition de l’un des derniers espaces de démocratie participative ». Curieuse ambition à l’heure où la Chancellerie plaide pour un rapprochement des citoyens et de leur Justice !
Aiguillonnés par notre hôte, le Conseil National des Barreaux, la Conférence des Bâtonniers, plusieurs conférences régionales et déjà plus de quarante cinq barreaux se sont mobilisés. Un site a été ouvert où l’on peut retrouver l’expression d’une partie du monde judiciaire (1). Mieux encore, une pétition a été mise en ligne sur le site du sénat venant au soutien d’une proposition de loi tendant au maintien des jurys populaires (2).
Confrères et amis, le réveil s’impose, alors… à vos claviers !
(*) Benjamin FIORINI.
(1) « sauvonslesassises.fr »
(2) « https://petitions.senat.fr/initiatives/i-1280