Le bon juge de Château-Thierry ou les leçons du passé (*)
Echapper pour un temps, même éphémère, au bouillonnement du quotidien, se retrouver soi-même, goûter à la sérénité, laisser vagabonder sa pensée et nourrir (un peu) son esprit, c’est tout le mérite de la période estivale.
Certes elle touche à son terme mais profitons de ses derniers instants et remontons le temps pour aller à la rencontre d’un juge, un « petit juge », un « bon juge » comme le surnommait Georges CLEMENCEAU, le juge Paul MAGNAUD, Président du tribunal correctionnel de CHATEAU-THIERRY de 1882 à 1906 et qui est entré dans l’histoire le 4 mars 1898 :
A la barre : Louise MENARD, jeune femme démunie de vingt-deux ans, mère d’un petit garçon de deux ans.
L’objet du procès : le vol d’un pain dans la boulangerie de son cousin.
Elle explique qu’elle et son enfant n’ont plus mangé depuis plus de deux jours…
Le tribunal se retire pour délibérer et de retour relaxe la jeune femme au motif qu’ « il est regrettable que dans une société bien organisée, l’un de ses membres, surtout une mère de famille, puisse manquer de pain autrement que par sa faute ». Et voilà jetées les bases de l’ « état de nécessité » que l’on ne trouvera toutefois inscrite dans la loi qu’en 1994 ( !).
Il ne ménagera pourtant pas sa peine, le « bon juge ». En 1898, ce sera le jeune Lucien CHIABRANDO, accusé de vagabondage et de mendicité agressive qui sortira indemne de l’audience : « seuls les mendiants professionnels doivent être condamnés (…) CHIABRANDO n’est pas un délinquant, c’est un pauvre ».
Et d’autres suivront … C’est que pour le juge MAGNAUD, c’est au juge qu’il revient de donner à la loi sa portée mais aussi d’en fixer les limites. L’art de juger consiste donc à « définir jusqu’où on peut s’éloigner du texte de la loi lorsque celui-ci paraît inadapté aux circonstances ». MAGNAUD ajoute : « le juge peut, il doit interpréter humainement les inflexibles prescriptions de la loi ».
N’est-ce pas ainsi que l’on peut faire utilement évoluer le Droit ? « La loi est morte mais le juge lui est vivant » disait Anatole France. On dira plus volontiers : « la loi est morte mais tous les acteurs de justice, de quelque côté qu’ils soient de la barre, sont vivants » ! A eux de contribuer à rendre notre Justice plus belle, plus noble et plus humaine…
(*) « PAUL MAGNAUD, LE BON JUGE DE CHATEAU-THIERRY », Mohamed SADOUN.
Préface de Henri LECLERC. Editions RIVENEUVE.